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Entre Deux Eaux
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29 juillet 2013

" Les Nuits du Caire " de Gilbert Sinoué

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Près d'un demi-siècle s'est passé lorsque Karim Jawhar, chrétien d'orient, revient en Egypte, mû par le désir de revoir une femme, Myriam, qu'il a aimé. Passion de jeunesse qui ne s'est pas concrétisée dans la vie adulte mais dont le souvenir demeure brûlant. A la recherche du bonheur perdu qui prend une dimension supplémentaire puisque notre héros débarque en pleine révolution du printemps arabe, la place Tahrir occupée, Moubarak sur le point d'être chassé ! Le Caire vibre pour un sang nouveau, la ville est dans le chaos et Karim a bien du mal à rejoindre son hôtel et à communiquer par téléphone avec Myriam pour lui annoncer son retour. Au cours de cette nuit d'arrivée, confronté à des événements qui le dépassent, à une Egypte en colère, Karim se souvient d'un pays et d'une ville qu'il ne reconnaît plus. 

C'est un livre très agréable à lire, l'écriture est légère pour raconter les blessures, les souffrances et la nostalgie. Au cours de cette nuit d'errance involontaire, le passé et le présent se bousculent et son cheminement vers Myriam prend un autre sens dans cette vie en révolution. Doit-il aller jusqu'au bout de son aventure !?

" Vous avez vécu dans le souvenir du bonheur, Karim. Or, rien n'empêche le bonheur comme le souvenir du bonheur. "

 " La pièce est nue. A peine éclairée par une ampoule jaunie au plafond. Aucun mobilier. Je repense à mes ravisseurs, au discours du septuagénaire. Serait-ce la nouvelle Egypte ? Une révolution bientôt confisquée par quelques barbus ? "Nous raflerons la mise". Dans ce cas c'en sera fini de ce pays qui fut pendant si longtemps une terre de tolérance.  Nous verrons déambuler dans les rues du Caire des femmes-fantômes, visages masqués, et le long des plages d'Alexandrie et de la mer Rouge,  des femmes déguisées en hommes-grenouilles. Pourtant leurs mères, et avant elles leurs grands-mères, marchaient bras nus, vêtues à la dernière mode de Paris, visage à découvert. Elles nageaient en maillot une pièce. Et je peux jurer qu'elles furent de fières musulmanes, les dignes filles du Prophète.

Décadence.

Je revois cette incroyable scène, gravée pour toujours dans mon esprit. Je prenais mon petit déjeuner dans la salle à manger de je ne sais plus quel hôtel. Installée à une table, une femme, enfermée dans son niqab, se tenait en face de moi, les mains gantées de noir. Une boîte aux lettres humaine. Elle tenait son bébé sur les genoux. En vérité, c'est l'attitude de celui-ci qui me bouleversa. Le malheureux enfant consacra tout le déjeuner à tenter désespérement d'arracher le voile à sa mère. J'imaginais les pensées confuses  qui se bousculaient dans sa tête d'enfant privé tout-à-coup du visage de sa maman alors que, dans l'intimité, il pouvait le contempler à loisir. Un cas admirable dont le docteur Freud se serait sans doute délecté.

Tristesse.

Dire qu'en 1899 un juriste de trente-six ans, Kassem Amin, publia au Caire un article intitulé "L'émancipation de la femme". Dans ce plaidoyer en faveur de l'instruction, il déclarait : "Nous continuons à élever nos filles comme on le faisait il y a mille ans et nous ne voyons pas que tout a changé autour de nous. La femme a été réduite à un objet au service de l'homme et il ne lui est resté que la fonction d'épouse ou de prostituée."

1899 !

Et, vingt-quatre ans plus tard, il y eut cette femme, Hoda Chaaraoui, féministe avant l'heure. Débarquant à la gare du Caire, de retour d'un congrès, elle eut le courage d'ôter publiquement son voile et de le jeter à terre en proclamant : "Plus jamais !"

Tristesse. "

 

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